Transformation des fruits exotiques en jus : description des process et optimisation des qualités

Laurent Lapierre, Bureau Couécou


Au travers de statistiques du marché français provenant de l'Union Nationale des Producteurs de Jus de Fruits Français, on remarque une augmentation assez importante depuis le début des années 90 des jus exotiques et des mélanges de jus à base de mangue, d'ananas, de fruit de la passion, etc. Ils se déclinent en jus à base de concentré, en nectar, en pur jus et en boissons. Bien souvent, des vitamines sont ajoutées qui permettent de restaurer les valeurs initiales contenues dans les matières premières, ceci dans un cadre réglementaire bien particulier.

Les jus d'agrumes de Floride

L'estimation pour la récolte 2001/2002 varie, selon les sources, entre 223 et 241 millions de caisses. Avec une caisse d'orange (environ 41 kilos), on peut faire à peu près 21 à 24 litres de pur jus d'orange. Cela représente 5 milliards de litres pressés à conserver et à distribuer. Le choix des principaux producteurs du jus d'orange de Floride a été le conditionnement et le stockage aseptique en vrac sous deux formes : des caisses en bois contenant une poche aseptique (" bins " de 1 000 litres) et des cuves aseptiques géantes contenant un million de gallons (3,78 millions de litres). Environ six usines en Floride stockent le jus de cette manière. Elle permet de réduire les coûts de stockage et de manipulation, par rapport à la méthode traditionnelle des fûts congelés, d'augmenter la productivité, de mieux gérer les stocks et de préserver la qualité des jus.

Le process

Les procédés de fabrication des jus d'agrumes sont assez connus : réception des fruits, stockage, sélection. En Floride, des inspections sont réalisées par l'USDA et la FDA dès la réception et à plusieurs niveaux. Elles permettent de vérifier si les degrés de maturité réglementaires sont atteints. Le lavage est souvent suivi d'un brossage abrasif des fruits pour récupérer les huiles essentielles. Il y a deux types d'extraction en Floride et au Brésil : FMC et Brown. La FMC presse l'orange verticalement avec des coupelles métalliques et le Brown se rapproche du presse-agrumes traditionnel où l'orange est coupée en deux et pressée horizontalement par des cônes.

Suite à l'extraction, on obtient un jus très pulpeux qu'il faut maintenant raffiner. Ce raffinage se produit en plusieurs étapes : les finisheurs (tamis) vont tamiser ce jus pulpeux et séparer les pulpes grossières. L'addition de pulpe dans les jus donne une consistance qu'apprécie le consommateur. Le marché des pulpes d'agrumes s'est développé ainsi que toute la technologie qui s'y rapporte. Ce raffinage a permis de réduire la teneur en pulpes grossières. On va alors centrifuger pour affiner la teneur en pulpes fines des jus qui oscille pour un jus d'orange en 8 et 12 %. Ensuite le process aseptique proprement dit démarre par une cuve tampon, qui est réfrigérée ou non en fonction des flux. La pasteurisation se fait à une température assez haute, en des temps très courts. Le jus va être refroidi très rapidement, désaéré et transféré aseptiquement dans des " bins " ou dans des cuves aseptiques. Ces cuves, maintenues sous azote, sont abritées dans des hangars gigantesques à une température de 0°C très stable. Ils peuvent contenir chacun une trentaine de cuves qui stockent toute une saison de production (d'octobre à juillet). Elles sont agitées au moins une fois par jour et parfois tous les quarts d'heure, horizontalement et verticalement, car la sédimentation des pulpes fines gêne les prélèvements qui se font régulièrement pour le contrôle qualité et développe également des défauts aromatiques. Il existe cinq ou six usines de ce type en Floride. En pleine saison, certaines peuvent produire plus d'un million de litres de pur jus par jour. Les usines peuvent traiter jusqu'à 200 camions d'agrumes par jour avec des FMC ayant cinq coupelles d'extraction qui pressent chacune 100 oranges par minute (pour la fréquence de pressage la plus haute). A partir de ces cuves, il va falloir expédier le jus en Europe. Différentes méthodes sont utilisées. Les " bins " sont exportés classiquement en containers réfrigérés. Mais une des dernières innovations consiste à exporter directement un peu plus de 20 tonnes de pur jus en vrac en container de type citerne. Le tanker est désinfecté dans des conditions " ultra propres " et rempli à zéro degré directement à partir des cuves de stockage, sans repasteurisation. Cette méthode permet de préserver les qualités des jus, ce que montrent les résultats des analyses : le jus est bien désaéré, bien stocké et bien conservé au froid. On perd très peu de vitamine C. Les producteurs estiment que les pertes de vitamine C, de la réception du fruit jusqu'au conditionnement dans la citerne, sont à peu près de 10 %. Lors de l'arrivée des containers en Europe, les dégradations dépassent rarement les 15 %. La traçabilité est parfaite : du producteur au conditionneur. Ce dernier reçoit sans aucune rupture le container froid, ouvre les vannes antiseptiques et remplit ses bouteilles. Il y a à peu près 150 containers de ce type expédiés par an en Allemagne et en France. Les variations de température sont très bien maîtrisées et restent toujours inférieures à 1°C.

La purée de mangue du Mexique

Il y a à peu près 23 millions de tonnes de mangues produites par an. L'Inde est le premier producteur mondial avec 15 millions de tonnes en 2000 et en exporte plus en transformé qu'en frais. Le Mexique est le deuxième producteur mondial et le premier exportateur de ce fruit. Les variétés utilisées pour faire de la purée de mangue sont essentiellement l'Alphonso, la Totapuri, la Kesar et la Kent. L'Alphonso reste la variété la plus recherchée pour la couleur et l'aspect aromatique, mais aussi la plus onéreuse. Ainsi, pour des questions d'économie, on mélange de la Totapuri avec de la Tommy Atkins d'Amérique centrale.

Le process

Les fruits sont récoltés pendant la phase de maturité, sélectionnés, lavés de manière très précise à cause du latex qui se dépose à la base du fruit et qui contient des composés toxiques. Une première sélection se fait sur les défauts des fruits, qui viennent essentiellement d'écarts de tri du marché frais. Une deuxième sélection se fait sur la maturité en fonction de la couleur, de la teneur en jus et de la teneur en matière sèche soluble (brix, acidité). Ces mangues sont ensuite entreposées dans de grands halls de maturation. La maturation optimale se fait sans additifs (pour des raisons économiques) afin d'obtenir une purée qui développe la flaveur aromatique du fruit original.

Puis, un premier traitement thermique est fait sur les mangues entières, qui va diminuer la charge microbienne à la surface des fruits, mais également commencer à inactiver les enzymes, les pectinases, les polyphénols oxydases et faciliter le pelage. Le pelage va se faire sur des fruits chauds qui sont découpés et pressés contre des tamis. Dans cette étape, les noyaux et la peau, qui peuvent représenter environ 40 % de la mangue, sont enlevés . Ensuite, on effectue le hotbreak ou thermobreak : c'est un chauffage à températures assez élevées qui va permettre d'optimiser le rendement d'extraction et de finir d'inactiver les enzymes. Le réseau fibreux du fruit contient le jus comme une éponge et par thermisation on obtient la bonne texture du produit qui va s'affiner au niveau des finisheurs et des décanteurs, régulant la teneur en pulpe. Il y a ensuite deux possibilités : faire de la purée simple non concentrée en passant par la désaération, la pasteurisation et le remplissage aseptique et faire de la purée concentrée, via un évaporateur.

La purée de banane

L'Equateur est un gros producteur de purée de banane avec le Costa Rica et la Colombie. Il a une politique de renouvellement des plantations et de sélection des variétés pour la purée de banane.

Le process

Les fruits sont récoltés verts. Des pressions de vapeurs, des températures, quelquefois des additifs (éthylène ou d'autres agents de maturation) les amènent à une maturation finale. Le pelage se fait encore manuellement dans beaucoup d'usines, dans des conditions d'hygiène les plus strictes. Les points critiques de la démarche HACCP sont les pesticides, la maturité, la condition des fruits, les conditions de pression de température dans les chambres de maturation et la qualité de l'eau.

Les fruits sont placés dans un désintégrateur pour obtenir de la purée. Des auxiliaires technologiques sont ou non intégrés lors de cette étape ou lors du tamisage : l'acide citrique (comme régulateur de pH) et l'acide ascorbique (antioxydant) pour garder un aspect blanchâtre et non grisâtre. Après un préchauffage qui va se faire à assez basse température pour préserver cette couleur, une filtration grossière est effectuée, puis un tamisage plus fin pour enlever les pépins. Cette purée est examinée minutieusement afin d'éliminer un certain nombre de défauts.

Vient ensuite l'étape d'homo-généisation qui est une phase très importante, car même dans une purée de bananes parvenues à maturité, on a toujours à peu près 1 % d'insoluble. Il s'agit notamment d'amidon qu'il faut désintégrer, dégrader, pour éviter qu'il ne se regroupe et crée des granulations dans la purée qui présentera des défauts se voyant à l'œil nu. La phase d'homogénéisation se passe à haute pression, jusqu'à 250 bar. La désaération qui suit se généralise dans tous les procédés avec récupération d'arômes. Le process se termine par le passage dans une pompe positive, la pasteurisation et le remplissage aseptique.

Pur jus et concentré de jus d'ananas de Côte d'Ivoire : exemple de l'usine SAFCO

Cette usine a optimisé son process d'extraction et de conditionnement depuis un ou deux ans. La SAFCO a installé un système de traçabilité des fruits et d'agriculture intégrée. Celui-ci est très au point et séduit actuellement sa clientèle. Cette société produit également des fruits biologiques et va pouvoir réserver, du moins on l'espère, une partie de ces fruits pour faire du jus d'ananas biologique. L'usine est approvisionné soit par des planteurs " privés ", soit par ses propres productions.

Le process

La réception et la sélection des fruits sont un point essentiel du process. Suivent un lavage à l'eau chlorée et un rinçage par spray. Ceci est très important pour l'ananas qui pousse près du sol et peut être contaminé par des moisissures thermo-résistantes. Ensuite, on passe par un calibrage pour extraire au mieux la peau et ses résidus afin d'éviter les défauts de goût. Puis, le fruit est coupé en deux et pelé dans le sens de la longueur.

La chair du fruit va être dans un premier temps passée dans des presses rotatives qui ressemblent aux " finisheurs ". On obtient à cette étape un premier jus. Les pulpes grossières sortant de cet extracteur sur tamis rotatif vont passer dans une deuxième étape de pressage sur deux niveaux. Elle va permettre de gagner du rendement tout en maintenant un jus de bonne qualité. Il s'agit d'un pressage à bandes relativement doux. On obtient alors deux qualités de jus, suivant les étages et la pression appliquée à la presse. Selon les spécifications auxquelles on veut arriver, on sélectionne l'un ou l'autre de ses jus.

La nouveauté, en ce qui concerne le conditionnement, consiste à regrouper ces deux purs jus. Une partie est centrifugée pour réguler la teneur en pulpe selon la qualité du jus et, selon les besoins de l'usine, une autre partie est concentrée à 60°brix avec un évaporateur classique. Mais la SAFCO s'est spécialisée dans le pur jus et a optimisé cette ligne de fabrication avec un préchauffage et une désaération qui va éviter tous les phénomènes d'oxydation et enlever jusqu'à 97 % de l'oxygène dissous. Remarque : il y a 10 mg d'oxygène par litre de jus de fruits et chaque mg d'oxygène peut détruire potentiellement 10 mg de vitamine C à température ambiante. Puis s'enchaînent la pasteurisation et le remplissage aseptique qui est assez original par son procédé de transfert aseptique. Il consiste par le passage dans une chambre aseptique où l'opérateur injecte le jus qui vient d'être pasteurisé dans le sac aseptique directement et ferme l'ensemble avec un système de bouchon aseptique, spécifique à ce procédé et permettant de sécuriser l'aseptie du système et surtout de développer dans l'avenir un transfert aseptique du jus à un conditionnement fiable (bouteilles, tétra) sans repasteurisation. C'est l'avenir et beaucoup de gens y réfléchissent actuellement : éviter de repasteuriser ces matières premières qui, on l'a vu, subissent des agressions liées au process. Si le jus pour le consommateur final pouvait être rempli sans repasteurisation, cela consti-tuerait la meilleure méthode pour conserver les micro-nutriments.
Le Cirad

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